« Tapes paillettes dans google, tu vas voir si c’est local et éco responsable! »

 

Flashback. 3 janvier, 9h à L’Hermitage.

Jean vient d’allumer le chauffage, Claire souffle sur son café qui fume. Il n’est pas encore 10 heures et on est 6 autour de la table de la grande bâtisse à Autrêches, en Picardie. La conversation est centrée sur l’atelier de décoration de Noël du 23 décembre dernier, animé par Amélie, l’une de nos résidente en reconversion. Si la journée de travaux pratiques collectifs s’est déroulée sans encombres, une des mamans présente a posé la question de la provenance et de la composition des paillettes utilisées. Evidemment, les petites boîtes brillantes venaient de Chine, 100% importées, plastiques et chimiques donc non éco-responsables. Mais on les avait récupérées et c’était du matériel recyclé.
Le ton monte. Le débat de ce 3 janvier à l’Hermitage porte moins sur cet écart de matériel que sur les parti-pris et engagements du projet. Où doit on placer notre exigence ? Sur celle de la récupération ou sur celle de la composition ? Et si on étend ce positionnement à l’alimentaire, qu’est ce que ça donne ? On est plutôt sur de la récupération des invendus alimentaires ou sur une rigueur quant aux produits bio ?

C’est ça, la phase de préfiguration à L’Hermitage. Mais pas de panique, c’est constructif ! 🙂

« Le but c’est de confronter notre concept à la réalité du site. On a besoin de challenger nos idées et ambitions aux besoins et attentes réelles des publics auxquels on s’adresse : locaux, urbains, non urbains, aisés, non aisés, organisations privées lucratives ou non. »

L’Hermitage fut créé au printemps 2017 en réponse à deux constats : celui de l’échec d’un certain modèle de société; et celui de l’existence d’un nombre grandissant d’individus volontaires pour (ré)agir, mais sans ressources pour passer à l’action. Le collectif Hermitage, à l’époque composé d’une dizaine de personnes, était né. Nous nous mettions d’accord sur la nécessité d’un espace nouveau à mi chemin entre le travail et la famille, donc un tiers lieu, et ajoutions une condition sine qua non : que “l’expérimentation pour tous” soit au coeur de la démarche. Que chacun, peu importe ses origines sociales et ses moyens financiers puisse participer au changement, prendre part à un circuit court, y trouver une place, et s’émanciper de toute structure, obligation ou dépendance entravante. En bref : l’Hermitage aurait pour rôle de permettre l’expérimentation de solutions, de projets, d’inventions, de méthodes de management, d’éducation ou de co-construction.

“ Conséquence directe de notre principe directeur « d’expérimentation » : il nous fallait tester notre concept, le confronter à la réalité. Nous lancions notre première campagne de crowdfunding au printemps 2017 et levions ainsi nos 100 000 premiers euros. Avec cette enveloppe – et parce que nous souhaitions que l’Hermitage soit à l’image de son activité et non seulement de nos idées –  nous sommes entrés en phase de « préfiguration “.

Avec, très exactement, 102 381 euros collectés en financement participatif, nous avons entamé une phase de préfiguration permettant d’assurer les frais de fonctionnement des 30 hectares de la propriété de juillet 2017 à avril 2018. Cette période a mis au jour quatre grands chantiers :

▣ La mise en place d’une programmation d’événements et d’ateliers grand public

Et ce, autour de quatre thématiques : l’agro-écologie, la transition énergétique, le vivre ensemble, et la transition numérique. Les premiers ateliers, en partenariat étroits avec des acteurs locaux mobilisés pour partager leurs expertises nous ont permis d’approfondir notre positionnement, de fixer nombre d’aspects logistiques, organisationnels et managériaux ainsi que de collecter les retours d’expérience de nos premiers visiteurs.

▣ Une aventure expérimentale et collaborative pour mettre nos méthodes à l’épreuve

Souhaitant faire un réel principe d’action de l’expérience de terrain pour l’innovation, ou plus précisément de la captation de données, de leur analyses, puis leur communication pédagogique à tous, nous nous sommes associés avec un groupe de 20 étudiants de l’UTC de Compiègne de la filière génie des systèmes urbains. Le projet porte sur la modélisation des bâtiments de l’Hermitage sous forme de maquettes numériques en 3D. Leur travail consiste à passer nos bâtiments aux scanners-laser, à les projeter sur un logiciel de modélisation géométrique et thermique afin d’analyser leur fonctionnement et leur consommation d’énergie. Sur ces mêmes maquettes, les étudiants seront ensuite en mesure de projeter divers scénarii de rénovation des bâtiments – dont certains seront effectivement mis en oeuvre – puis d’analyser les résultats des deux pour comprendre l’origine des écarts entre utilisation réelle et modélisation virtuelle. Un des points les plus importants de ce projet est la transmission des conclusions au plus grand nombre et ce de manière la plus pédagogique et accessible possible.

▣ L’ouverture des bâtiments à des résidents permanents ainsi que l’organisation managériale des équipes.

Pendant 7 mois nous avons relevé le défi de faire cohabiter sur le site des ruraux, des urbains, des résidents et des visiteurs très ponctuels. Nous avons également structuré une équipe et coordonné nos actions entre bénévoles, free lances, salariés et associés. En effet, avant de faire de la pédagogie sur le vivre ensemble nous souhaitions faire l’expérience de notre propre diversité d’équipe tout en convergeant vers un même objectif : celui de la création d’un lieu hybride et pluridisciplinaire.

▣ La constitution d’un modèle d’affaires viable pour soutenir les activités d’intérêt général de l’association.

S’il a changé plus de 10 fois en 7 mois et sera amené à évoluer dans le futur, le modèle de l’Hermitage a aujourd’hui trouvé sa stabilité. Il repose sur trois piliers : une SCI (société civile immobilière) aux nombreux associés, tous propriétaires du site ; une association à but non lucratif, garante de la vision et de la cohérence du modèle de l’Hermitage ; et enfin, une SAS (entreprise à actions simplifiées) pour pouvoir accueillir des organisations de tout type (associations, entreprises, administrations publiques, etc.) mais aussi des particuliers en séjour de travail, de découverte ou de détente. L’objectif est de pouvoir les accompagner sur le chemin de l’innovation ou(verte) et du “mieux-collaborer”. Nos premiers contrats nous ont permis de confirmer que le territoire dans lequel l’Hermitage est implanté est en demande de ce type d’initiatives.

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Ces 7 mois d’expérience terrain nous présentent déjà quelques résultats positifs ! A titre d’exemples, le témoignage de nos premières parties prenantes (résidents, visiteurs, partenaires ou bénévoles) s’apercevant qu
’ils peuvent changer certaines choses, mais pas forcément là où ils l’imaginaient au départ ou celui des résidents en reconversion mobilisés pour la construction du projet ! Nous notons également, sur un tout autre plan, que nous ne pouvons faire abstraction des réalités managériales du quotidien et que, malgré notre positionnement qui se veut en rupture, les méthodes traditionnelles de structuration de projets ont aussi du bon ! La communication non jugeante et la confiance entre chacun d’entre nous étant le réel vecteur de réussite.

Cette phase de préfiguration n’étant pas encore tout à fait clôturée, il va nous falloir attendre quelques semaines avant de pouvoir analyser avec rigueur et dans le détail les résultats de ces quatre chantiers.

 

Nous gardons le cap. Et l’élément qui nous fait tenir, nous garde en haleine – le phare de notre projet – et celui dont cette première étape a confirmé l’importance (pas seulement lors de l’épisode pailleté), c’est l’indulgence.